Le film du mois : Linhas de Passe (Une famille brésilienne) de Walter Salles & Daniela Thomas


Sao Paulo. 20 millions d'habitants, 200 kms d'embouteillage, 300 000 coursiers. Au coeur de cette ville en transe, quatre frères essaient de se réinventer de manières différentes. Reginaldo, le plus jeune, cherche obstinément son père ; Dario rêve d'une carrière de footballeur, mais l'âge, 18 ans, le rattrape; Dinho se réfugie dans la religion tandis que l'aîné, Denis, déjà père d'un enfant, gagne difficilement sa vie. Leur mère, Cleusa, femme de ménage qui élève seule ses quatre enfants nés de pères différents, est à nouveau enceinte. A l'image d'un Brésil en état d'urgence et en crise identitaire, tous cherchent une issue.

Un cinéaste en quête de ses racines
Après avoir passé une partie de son enfance à Paris, où il apprend la langue française et découvre le cinéma à travers les films de la Nouvelle Vague, Walter Salles rentre au Brésil, un pays qu’il ne connaît pas. Sa passion pour la photo l’amène progressivement vers la caméra. Muni de celle-ci et d’une curiosité insatiable pour ses racines, il va sillonner le pays et en imprimer sur pellicule les moindres facettes, à l’instar de son frère, éminent documentariste. Il se forge ainsi une connaissance extrêmement pointue du Brésil et de ses populations, qu’il mettra à profit lors de son passage à la fiction. La quasi-totalité de ses films gardera par ailleurs cette dimension documentaire qui lui est chère. Ce Linhas de Passe ne déroge pas à la règle et nous montre à quel point Salles comprend les nombreuses subtilités de son pays.

« Où en est la jeunesse brésilienne ? »
Linhas de Passe nous montre une jeunesse brésilienne livée à elle-même. L’Etat comme la Police sont totalement et littéralement absents du film. On ne sent pas une appartenance globale à une nation, mais à une multitude de nations dans la nation, plus palpables, plus accueillantes. La « nation des Corinthians », nom que l’on donne aux supporters du club de Sao Paulo, est le refuge de Cleusa, qui porte à bout de bras ses quatre garçons. Quatre garçons qui tentent, chacun à leur manière, de trouver un sens à leur existence. La religion, le futebol - que Salles filme comme personne, la famille et la recherche du père, voilà ce qui anime cette fratrie. « Je suis votre mère et votre père » leur crie-t-elle dans un aveu symptomatique de la situation du Brésil actuel.

Montrer un autre Brésil.
De nombreux films brésiliens actuels montrent un Brésil gangréné par la violence et la drogue. On sent ici une volonté de rééquilibrer la balance. Certes, la violence couve, mais elle est le fait d’un abandon, et la plupart essaient de s’en écarter, même si elle les rattrape parfois. En cela, Linhas de Passe peut être vue comme l’antithèse de Tropa de Elite (2007), western urbain - Ours d’or à Berlin - mettant en scène la guerre entre police et gangs. A la réalisation clinquante et distanciée de l’un s’oppose la vision au plus près de la matière humaine de l’autre. On sent chez Walter Salles et Daniela Thomas l’envie d’empêcher l’imaginaire collectif de sombrer dans une vision caricaturale du Brésil, apocalyptique et déshumanisée.

« Anda…anda…anda… »
Ainsi, le film nous montre une jeunesse courageuse, qui, malgré les désillusions fréquentes qui rythment son évolution, tente de rebondir avec les faibles moyens mis à sa disposition. Selon Walter Salles, le Brésil est « un pays aux nombreux talents mais qui ne sait pas les faire monter à la surface ». Le réalisateur aime profondément le Brésil et sa jeunesse. Il ne juge pas, mais regarde ses protagonistes grandir avec une affection sans failles, qui transparaît dans chaque plan du film. La musique, perpétuel enchevêtrement entre sonorités de la ville et composition originale, renforce ce sentiment d’intimité.

Walter Salles est un grand cinéaste. Chaque année, il produit deux premières œuvres brésiliennes ainsi qu’un film d’un « Grand », comme il le dit lui-même, afin de maintenir l’équilibre entre le cinéma établi et la nouvelle vague de réalisateurs prêts à réinventer le langage cinématographique. C’est par l’entretien de cet équilibre qu’il entend apporter sa pierre au développement du cinéma brésilien, tenu au silence pendant des années par la censure du régime militaire.

Si seulement tous étaient comme lui…

Geff

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